1ère CONFERENCE DE RAYMOND SALA: LA MENERA AU FIL DU TEMPS

 

 

 

 

1ère conférence de M. Raymond Sala le 12 août 2020 à Lamanère

La Menera au fil du temps

Cet exposé est dédié à Marie Cabanas-Laïlle

Tout le monde connaît les origines catalanes de Raymond Sala qui vit à Saint Laurent de Cerdans. L’arrière-grand-mère de Raymond Sala, Marie Gibrat épouse Guino, surnommée La Cabanyona, était née à Lamanère en 1865.

Au début de son exposé, Raymond Sala a rendu hommage à son professeur et directeur de thèse M. Pierre Chaunu, historien éminent ainsi qu’aux historiens locaux : Marie-Cabanas Laïlle et Roland Serres-Bria.

Quelques dates et éléments démographiques

Créés au X° siècle, les lieux dits de Lamanère, Labadie, Serralongue et le Grau étaient regroupés en une seule communauté. Il est à noter que Lamanère était située à l’extrémité d’un axe de communication important vers le Ripollès depuis le pont de la Vierge Marie au col de Malrems sur la frontière actuelle.

La paroisse de Serralongue a été créée en 988, le château de Cabrens est cité au XI° siècle. Dédiée à saint Sauveur, l’Eglise de Lamanère a été consacrée en 1378, Sainte-Christine en 1255, et l’hôpital des pauvres de Jésus Christ en 1396 (sur l’emplacement de la maison Suñé). Les mas de la Sadella, de Lestenoses, du Pla del Boix sont très anciens (le plus ancien cité est celui de La Sadella, en 1323).

En 1370, a eu lieu le premier recensement de population, Serralongue et ses annexes comptaient 50 feux et Saint-Laurent 42. La population s’est effondrée dès la fin du XIV° siècle à cause de l’épidémie de peste noire et des exactions en 1417 du baron Gérard de Rocaberti.

En 1730, Serralongue comptait 88 feux, derrière Saint-Laurent (251) et Prats de Mollo (490). Poussée démographique au XVIIIe  siècle : en 1806 Lamanère comptait 679 habitants, Serralongue, 640. Au milieu du XIXe : égalité entre Lamanère (864 habitants) et Serralongue (900), on note une régression dans la seconde moitié : en 1901 Lamanère compte 510 habitants, Serralongue 750.

Périodes agitées de l’histoire de Lamanère

En 1720 a eu lieu le premier marquage provisoire de la frontière avec l’Espagne à l’occasion de la peste de Marseille. Les bornes frontières furent installées après le traité de Bayonne (1866), deux cents ans après le traité des Pyrénées (1659).

A cause de son engagement dans la guerre du sel, Lamanère a été longtemps considéré comme un village rebelle : 40 maisons brûlées dans le « bastion » des Angelets de la Terra.

La région du Haut Vallespir était aux XVIII et XIX° siècles un lieu de contrebande, en relation avec les sociétés de contrebandiers créées à Banyuls-sur-Mer, en partie par des élus locaux. À noter aussi, forte de 40 hommes, l’entreprise de contrebande des trois frères Coste dont l’un, Jean, était maire de Lamanère. C’était une contrebande à grande échelle, qui concernait le bétail, le tabac, la poudre, les allumettes, l’eau de vie, les chaussures catalanes (espadrilles) et les piastres.

Au XIX° siècle (sous Louis-Philippe), il existait trois frontières : l’officielle sur la ligne de crête, avec de part et d’autre deux frontières opposées, au nord sur la rive droite du Tech et au sud sur la rive gauche du Fluvia où les autorités espagnoles demandaient un passeport. Le Haut Vallespir jusqu’aux Albères était devenu une zone de non-droit, « la frontière sauvage ».

Comme tous les autres villages voisins, Lamanère était à cette époque un lieu de refuge pour bandits, contrebandiers, déserteurs et Carlistes. A cette époque, le Haut Vallespir soutenait les Carlistes. Jean Llobère et Jean Juanole, de Lamanère avaient adhéré à l’Association des Malfaiteurs de Saint Laurent de Cerdans (1834-1839) qui recrutait au quartier carliste du Moulin. Plus célèbres, les Trabucaires de 1844-1846 sont soutenus par toute la population. Le presbytère même de Lamanère était un repaire de Carlistes au même titre que les maisons et les mas.

Quelques anecdotes sur la religion à Lamanère

En 1833, le prêtre interdit la venue des moutons à la messe de Noël car le maire et l’instituteur les avaient affublés de drapeaux tricolores. L’anticléricalisme prend de l’importance à la fin du XIX° siècle, malgré la persistance de l’esprit religieux au village.

En 1906, le maire fait sonner le glas à un enterrement civil à Serralongue. À Lamanère , l’instituteur « apôtre du socialisme et de la Libre Pensée » organise une conférence et s’oppose à la venue de l’évêque.

En 1894, la toiture de l’Eglise s’effondra, la nuit de l’arrivée du nouveau curé Jules Pujol. Il faut dire que l’édifice avait été pillé et dévasté (1793-1813), mal réparé et agrandi insuffisamment en 1827. L’affaire du presbytère ne fut réglée qu’en 1911 par une location à partir d’un bail de 9 ans

Les curés veillent sur leurs ouailles et ne s’en laissent pas compter : ils sermonnent leurs paroissiens sur les abus d’absinthe lors des réunions à ND du Coral et condamnent les bagarres lors des aplecs, les jeux déshonnêtes, les danses, le concubinage et la bigamie, du XVIe au XIXe siècle.

En 1839, les femmes refusent d’obéir au curé qui voulait leur imposer à l’église le port du capuchon les couvrant de la tête à la taille.

Développement industriel de Lamanère

N’allons pas croire que les habitants de Lamanère sont tous des contrebandiers et des Trabucaires, ils ont aussi une réputation méritée d’ardeur au travail. Sur le plan individuel, on peut donner en exemple Damien Juanole décédé en 1836 à Serralongue. Habitant Lamanère en 1786, il fut successivement tisserand, greffier, secrétaire de mairie, instituteur, juge de paix du canton.

Selon son toponyme, La Menera était réputée depuis longtemps pour ses richesses minières : or, argent, plomb, cuivre, zinc. Au XIX° siècle, Lamanère a connu une intense prospection et exploitation des mines, les dernières fermeront en 1933. Un siècle auparavant, en 1838, une société parisienne était autorisée à la prospection par une ordonnance de Louis Philippe Ier. A La Sadella et aux environs de Sainte Christine, des recherches de houille furent menées. En 1891, Joseph Coste trouva du cuivre au Pla de la Guilla dans la propriété de la famille Fabre. Toutes les concessions passèrent alors à cette famille ; en 1910, Mme veuve Fabre confie ces concessions à une société marseillaise et les transmet à la Vicomtesse de Thoisy, issue d’une grande famille roussillonnaise, les Boluix. C’est cette dernière qui renonce aux concessions en 1932-33 et qui fait don d’un local aux sœurs de Saint Vincent de Paul (le Plaçot !). Le linteau avec ses initiales et ses dates demanderait une étude.

A noter les travaux importants et très documentés de Mme le professeur Catherine Verna, historienne, qui a notamment présenté Arles-sur-Tech comme «une petite Ruhr », en lien avec les mines de Batère (XIVe et XVe siècles).

 

L’industrie sandalière à Lamanère

 

  • Avec l’industrie sandalière créée à Saint Laurent de Cerdans, Michel Xatard, un artisan, apparaît comme le premier pionnier de Lamanère. Notons l’installation de la fabrique des frères Coste, qui, en 1892, comptait 25 espadrilleurs et 15 trépointeurs. Comme à Saint Laurent, on y pratiquait l’usage de la llibreta: llibreta del treball avec salaire et llibreta de la botiga avec achats à l’épicerie du patron. Une sorte de troc à l’avantage de ce derniers : travail contre nourriture.  Fin 1921, la coopérative l’Union Ouvrière fut créée par huit ouvriers, indépendamment de la fabrique Coste. L’Union comptait 40 actionnaires en 1931. (Se référer à l’ouvrage de Marie Cabanas et à celui récemment paru de Rosenstein sur l’industrie de l’espadrille en Haut Vallespir). Ce dernier recense à Lamanère 12 entreprises. A noter qu’à cette époque Mme Juanola Mercédès, originaire de Bassegoda avait créé sa propre entreprise de production de sandales, selon Rosenstein. Comme à Saint Laurent, la ruine de l’industrie sandalière survint dans les années 1970.

 

Conclusion

Parmi les valeurs traditionnelles des habitants de La Menera, on peut souligner la pratique de l’hospitalité au quotidien et même post-mortem. Lors des obsèques, l’aumône se pratiquait de la main à la main à la porte de l’église, du cimetière ou du domicile avec du pain en général pour les pauvres. Certaines familles, au retour et au domicile offraient le refresc (rafraîchissement) une collation à tous ceux qui avaient assisté aux obsèques.

Chez beaucoup se tenait le banquet funèbre, repas des funérailles une pratique observée en général jusque dans la première moitié du XXe et un peu au-delà. Décédé en 1982, Abdon Tubert du Pla del Boix a peut être défrayé la chronique : charité générale aux pauvres, 90 convives répartis autour de deux tables avec pain, vin et soupe de légumes. Une table fut dressée au milieu de la place pour 80 pagesos (métayers et petits propriétaires). Plus de 100 convives (famille et amis) furent invités au Pla del Boix où 16 employés firent le service : un quartier de bœuf, 6 brebis, 295 litres de vin et une charge de froment et de seigle furent ainsi servis.

Mais l’hospitalité s’accorde aussi avec fraternité. La fraternité dans les combats pendant la guerre du sel contre la gabelle (1663-1672), la fraternité dans le travail : « contrebande », agriculture, exploitation forestière et minière, industrie sandalière … fraternité dans les calamités : Retirada, aiguat de 1940, les guerres du XXe … Ce n’est pas un hasard, si la société de Secours Mutuel avait été dénommée La Fraternelle, au XIXe siècle.

 Notes

NB : Il est important de rappeler que ces notes ont été rédigées par des habitants de Lamanère, qui nous transmettent des éléments complétant cet exposé et intéressants à plus d’un titre, sur le plan historique de notre village :

« Mercédès Juanola était l’épouse d’Augustin Juanole.

Ils habitaient à côté de chez Marie-Andrée (Margalef NDLR) et faisaient des espadrilles à leur compte. Ils ont deux fils dont l’un est Claude Juanole qui habite au Puy, de l’âge de Robert Matillo.

Nous avons déduit cela et pensons que c’est bien d’elle dont on il est question, elle portait le même nom que son mari quand elle l’a épousé, c’est une coïncidence. On l’appelait Marcelle et non Mercédès.

A Can Bottes, maison qui se trouve après la station d’épuration en allant vers le Coral, il y avait aussi une famille Juanole dont le fils s’appelle Roger, il a deux enfants Roland et un autre d’une quarantaine d’années, ils avaient aussi une entreprise de sandales mais nous pensons qu’on ne parle pas d’eux car ce sont des Juanole. »

Une version en anglais de cet article est disponible en cliquant ici.

Jean-Paul Laïlle

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